Prison T

Aucune végétation ne poussait à la surface. Il n'y avait que de la terre, des rocailles, des trous où se cacher. Nita avançait au milieu de ce rien. Elle avait réussi à récupérer quelques vivres dans une cache que le bouclier lui avait indiquée. Grâce à celui-ci, le froid ne la gênait pas mais elle marchait sans repère depuis le lever du jour. Le soleil avait caché les étoiles qui la guidaient. Seules les ombres des plus hauts rochers lui montraient que le temps passait. Elle gardait la bonne direction, elle en était sure : la capsule émettait une faible lueur que le filtre du bouclier teintait de bleu, cela lui suffisait pour suivre son chemin.

Elle s'arrêta à l'abri. Elle devait réfléchir, envisager une attaque. Ou bien les prisonniers étaient en fuite mais pour aller où? ou bien ils reformaient leurs troupes en attendant qu'une nouvelle navette atterrisse. Elle ne comprenait pas ce qui lui était arrivée, ce qui leur était arrivé.

La Guilde Universelle était née après le 3e cahos.

Comme lors des deux premiers l'ordre des galaxies en était sorti bouleversé. Des planètes avaient disparues dans l'explosion de leur noyau. Des trous noirs en avaient avalés d'autres. Des peuples avaient péri. Beaucoup avaient survécu. Les plus évolués, ceux qui avaient prévu ce cahos, étaient partis explorer des galaxies inconnues.

Les plus pacifistes avaient accueilli sur leur planète des communautés qui erraient dans l'univers.

Les plus belliqueux s'étaient contentés de coloniser les plus faibles.

Tous s'étaient accordés pour, une fois l'équilibre reconstruit, créer la Guilde Universelle, organisation chargée de maintenir, dans la mesure du possible et de ses moyens, la paix. A la suite de cet accord, Prison T était née.

Il fallait un endroit où envoyer les individus dangereux. Dans cette hypocrisie provenant de la démocratie consensuelle, un dépotoir aussi était né non loin de Prison T. Les vaisseaux cargos convoyaient ainsi dans leurs cales détenus et ordures unis par leur destination.

Plusieurs gardiens se suicidèrent en déclenchant une des bombes qu'ils portaient. La règle en cas de mutinerie était : pas de quartier. Les surveillants avaient une heure pour atteindre les capsules de sauvetage cachées sur Prison T. Après ce délai, ils étaient considérés comme morts.

Les capsules ne décollaient qu'avec une reconnaissance ADN de leur passager et elles se détruisaient Une heure aprés le déclenchement de l'alerte.

Un accord universel stipulait que n'importe quelle planète pouvait envoyer ses condamnés sur Prison T.
Personne ne s'était jamais évadé de cette planète, les longues peines y mourraient avant d'être libérées, même les espèces à longue vie. Les humains n'envoyaient personne : leur ridicule condition physique, leur espérance de vie réduite les épargnaient de cette punition.
L'hypocrisie de la moralité humaine avait contaminé le reste de l'univers : la peine de mort était bannie mais dans les faits, la Guide Universelle, en accord avec la convention de toutes les planètes, l'avait remplacée par cette prison à vie. Les prisonniers mourraient lentement, l'exil des individus dangereux protégeait le reste de la population.

Atterrissage parfait. Détecteurs rassurants : pas de présence alentour. Boucliers d'invisibilité enclenchés.
Connerie monumentale.
Les flecks, les spyrts sentent les mouvements de l'air, les changements de pression. Quand ils se déplaçaient, bouclier ou pas, les gardiens alertaient les prisonniers. Hubert avait dit : "Gardez vos distances, inutile d'approcher trop prés. On les identifie, on les compte et on se barre."
Sans blague ! Personne n'avait envie de vérifier la couleur de leurs yeux.
Nita ne comprenait pas la nécessité de cette intervention. Souc non plus.
"Pourquoi ne pas les laisser crever sur place ? On a toujours fait comme ça."

Les ordres, les ordres. Et la prime.

Anita reprit conscience. Tout son corps la faisait souffrir. Elle avait froid et faim et soif en même temps.
Que s'était-il passé ? Comment les détenus avaient-ils pu s'approcher d'eux sans être neutralisés par les colliers ?
L'orage magnétique. Il avait détruit une partie des capteurs. C'était pour cette raison qu'ils avaient dû descendre, atterir sur la planète. Comment les prisonniers s'étaient-ils rendus compte de la panne ? Qui les avait avertis ?
Ils avaient attaqué en bande, comment avaient-ils réussi à s'entendre, à s'unir ?
Les gardiens n'avaient rien prévu, ils s'étaient défendu comme il le fallait. Elle avait essayé de fuir la bataille mais un prisonnier l'avait rattrapée et assommée.
Où était-elle ? Ils l'avaient abandonnée loin du lieu de combat. Un endroit inconnu pour elle.
Ils auraient dû tous mourir. Aucune espèce ne résiste à une bombe sèche.
Pourtant elle était en train de se réveiller dans une bulle-cellule, sans combinaison de survie, uniquement vêtue de son uniforme, sans vivre. La bulle-cellule s'effaçait au bout d'une heure, temps universel, après, la combinaison devait prendre le relais. Les prisonniers lui avaient arraché la sienne, en pensant qu'elle allait mourir lentement après la disparition de la bulle. Elle ne savait pas depuis combien de temps elle s'y trouvait enfermée.

Le conseil de guerre des détenus s'éternisait. Ils n'arrivaient pas à décider de la suite. La plupart n'essayait même pas de participer à la discussion. Ils avaient faim, ils étaient venus voler la bouffe.

- Nous sommes libres, nos colliers ne marchent plus.

- Libres de faire quoi ? D'aller où ? Nous n'avons pas de vaisseau. Nous sommes piégés ici.

- Tuons les gardiens dès qu'ils arrivent.

- Ils ne vont pas se laisser faire.

- Ils ne savent peut-être pas que les colliers sont en panne.

- Bien sûr que si. Ils n'ont pas largué de capsules depuis longtemps.

- Nous devons construire notre propre vaisseau en récupérant les capsules.

- Il nous faudra une éternité pour y arriver !

- J'ai faim.

Ils avaient reçu l'ordre de descendre sur la planète.

- C'est débile ! Le protocole nous interdit de descendre. Nous devons observer pas intervenir.

- Le protocole dit que nous devons obéir aux ordres.

- Je refuse.

Souc ne bougeait pas, il ne descendrait pas.

Les gardiens s'étaient réunis dans le poste de commandement. Nita fixait la planète au travers des vitres. Elle brillait comme toujours après un orage magnétique. Hubert appuya sur un bouton. L'ordre retentit dans la pièce : "Trop de colliers hors-service. Suspicion de révolte qui entraînerait une évasion. Allez vérifier sur place."

Germ se gratta le menton.

- On peut envoyer une sonde d'observation et attendre les résultats.

- Les transmissions ne passent pas, on va attendre longtemps !

- Pourquoi nos chefs veulent-ils qu'on aille sur la planète ?

Nita les regarda les uns après les autres, ceux qu'elle connaissait : Souc, Hubert, Germ, Diff et ceux du deuxième groupe.

- Il n'y a aucun risque tant qu'un vaisseau n'atterrit pas. Si nous descendons avec une navette, les prisonniers verront la différence, nous les avertirons qu'il se passe quelque chose. Les capsules s'écrasent, pas la navette. Ils vont nous attaquer et nous nous savons pas combien ils sont.

- Elle a raison.

- Nous allons annuler le prochain largage pour les affaiblir. L'orage a déjà retardé le dernier approvisionnement, ils seront affamés. Les capsules suivantes seront envoyées loin de notre lieu d'atterrissage.

- C'est stupide ! Attendons carrément qu'ils crèvent de faim.

- Ils ne savent pas que les colliers n'émettent plus.

- C'est sûr et certain ? Il suffit qu'un seul s'en soit aperçu pour que tous les autres l'apprennent.

- Nita, ces êtres ne parlent pas la même langue ils ne communiquent pas entre eux.

- T'en sais rien ! T'es descendu pour vérifier ?

Souc ricana.

Hubert reprit :

- Nous n'avons pas le choix. Si nous n'obéissons pas, nous sommes tous virés et il y aura des sanctions. Personne ici n'a envie de se retrouver dans les dépôts de la Guilde, n'est-ce pas ? Tirons au sort ceux qui descendent.

Nita regretta les moments où elle se plaignait de l'inaction.

Nita voulut relire la notice des spyrts, l'ordinateur refusa de l'afficher. Elle appela Hubert qui était sensé s'occuper de l'informatique.

- Qu'est-ce qui se passe ?

- L'ordinateur ne marche pas.

- Les fiches sont en cours de réactualisation, elles s'afficheront plus tard.

- Hé, c'est un spyrt, j'ai besoin de tout savoir sur lui.

- Pourquoi ? Tu ne le verras sans doute jamais. Quand on descend sur zone, notre bouclier et leur collier les tiennent à distance. Et puis, il n'y a pas de sortie prévue. T'as l'intention de passer tes vacances en bas ?

- Je ne prends aucun risque, c'est tout.

- Tous les prisonniers sont dangereux, garde ça en tête, ça devrait suffire à te maintenir en vie.

Souc s'était permis d'intervenir, c'était un connard de première mais pour une fois il avait raison.